De tout temps, connaitre l’heure s’est avéré important. L’Antiquité utilisait les cadrans solaires, partout présent à Rome notamment. Le temps solaire « vrai » présente des inégalités prévues par les astronomes bien avant que le mouvement régulier des horloges à pendules et échappement (Hyugens, 1657) ne les fasse connaitre au public. Le temps solaire « moyen » qui élimine ces fluctuations atteignant quinze minutes environ au cours de l’année, s’impose peu à peu.
Au XIXe siècle, le bourgeois porte une montre au gousset. Il la règle sur l’horloge publique de référence. L’ouvrier, dépourvu de montre, se doit d’arriver en avance à son travail pour ne pas perdre sa journée, les portes de l’usine fermant à l’heure juste. Les horloges municipales, faute de personnel, ne sont pas toujours à l’heure.
Le 1er janvier 1881, un réseau de distribution horaire est créé à Paris grâce à un accord entre l’Observatoire de Paris1 et la ville. Les horloges municipales, électriques, sont reliées à l’un des quinze régulateurs, eux-mêmes synchronisés avec l’horloge-mère de l’Observatoire. En avance sur son époque, cette distribution efficace mais onéreuse de l’heure est unique, il n’existe aucun équivalent dans les capitales étrangères. Une loi du 14 mars 1891 énonce : « L’heure légale en France et en Algérie est l’heure, temps moyen de Paris ». Ce temps de Paris est celui du méridien central de l’Observatoire, origine des longitudes en France depuis le XVIIe siècle.
La TSF et les études menées par le futur général Ferrié et Benjamin Baillaud, directeur de l’Observatoire de Paris, conduisent aux premiers signaux horaires le 23 mai 1910 ; commandés depuis l’Observatoire et émis par l’antenne de la Tour Eiffel, ils sont assez fiables pour justifier la création d’un service régulier, le 21 novembre 1910. Cependant, ce service ne peut diffuser que l’heure légale française ce qui n’est pas conforme à la vocation internationale de l’Observatoire ; le réseau mondial des fuseaux horaires, défini en 1884, plaçant la France dans le premier fuseau dont l’heure est celle du méridien de Greenwich. La loi du 9 mars 1911 indique : « L’heure légale, en France et en Algérie, est l’heure temps moyen de Paris, retardée de 9 minutes 21 secondes » écart négligeable à l’époque.
La première horloge parlante du monde est française, son créateur est le directeur de l’Observatoire de Paris Ernest Esclangon2.
Constatant que la seule ligne téléphonique de l’institution était constamment occupée par les « demandes de l’heure » (un agent de l’Observatoire répondant aux appels incessants du public pour connaître l’heure), il décide de faire parler sa pendule et contacte les PTT, très favorables à cette idée. Deux entreprises sont approchées pour réaliser la partie parlante de la machine : la société d’Edouard Belin et la maison Brillié. Cette dernière, spécialisée dans la mécanique de précision et l’horlogerie, est retenue par Esclangon.
La machine proposée est constituée d’un cylindre portant trois ensembles de bandes de film parlant :
- le premier énonce les heures de 0h à 23h
- le deuxième énonce les minutes de 0 minute à 59 minutes
- le troisième comporte les enregistrements correspondants à 10 s, 20 s, 30 s, 40 s puis l’énoncé « au quatrième top il sera exactement… »
La technique utilisée est celle du tout nouveau cinéma parlant : l’enregistrement photographique du son est porté par des bandes de papier découpées, collées sur un cylindre, éclairées et lues par des têtes de lecture équipées de cellules photo-électriques. Ces dernières produisent alors un courant dont les variations se transforment en un son reproduisant dans un appareil téléphonique le son initial enregistré. Des dispositifs mécaniques placent les reproducteurs de son devant la bande qui convient. Un système électronique à tubes sélectionne, à tour de rôle et à l’instant voulu, les cellules qui doivent reconstituer le message horaire, le tout étant synchronisé par une pendule de précision. Les tops secs, comme le demandait E. Esclangon, sont espacés d’une seconde et le zéro de chaque minute correspond au début du quatrième top. Ces tops proviennent, à l’époque, d’une horloge fondamentale de l’Observatoire de Paris maintenue à température et à pression constantes, située dans les caves du sous-sol de l’établissement. La machine parlante proprement dite est installée au rez-de-chaussée du bâtiment de Claude Perrault, avec deux autres machines de secours.

Après trois mois d’essais, le service est ouvert au public le 14 février 1933, relié au réseau téléphonique sous le numéro “ODEon 84 00”. Les vingt lignes prévues pour ce service sont immédiatement saturées, plus de 140 000 demandes sont comptabilisées le premier jour, 20 000 seulement pouvant être satisfaites. La voix entendue est celle de Marcel Laporte3, dit « Radiolo », speaker vedette sur Radio Paris. En 1954, la comédienne Hélène Garaud prête sa voix à l’horloge parlante mais, devant les protestations des usagers (notamment en raison de la mauvaise qualité des récepteurs téléphoniques « qui ne passaient pas les aigus »), l’expérience ne dure qu’une journée.
Le système subi deux mises à jour majeures.
- Au début des années 1960, les ingénieurs du CNET4 font progresser considérablement le premier système en remplaçant les tubes électroniques par des transistors, les cellules photo-électriques par des photo-diodes et les bandes papier par des bandes sonores de film 35 mm du cinéma professionnel. En 1965, deux nouvelles horloges conçues par le CNET sont mises en place à l’Observatoire avec une nouvelle voix, celle d’un comédien amateur de la troupe théâtrale des PTT.
- En 1975, une bande sonore de film 16 mm équipe le nouveau modèle d’horloge mis en service, venant s’ajouter aux deux modèles de 1965 encore en fonctionnement ; le moteur entrainant la rotation du cylindre de chaque horloge est alimenté par du courant de fréquence 50 Hz obtenu à partir d’une horloge atomique au césium. Les tops de repère de la position des secondes (signal à 1 kHz pendant 0,1 seconde), diffusés après le message parlé, proviennent aussi de ces oscillateurs atomiques. Un dispositif permute l’horloge en cas de problème et alerte le personnel d’exploitation.

Les dernières révisions ont lieues en 1987 et en 1991, le service devenant entièrement numérique.
Le 18 septembre 1991, la nouvelle horloge parlante est inaugurée. Elle est désormais entièrement électronique et deux nouvelles voix sont diffusées en alternance, une féminine (la comédienne Marie-Sylvie Behr) et une masculine. Avec 200 000 appels par jour, le “36 99” est le service vocal de France Télécom le plus consulté en France.

Le modèle de 1991 a été mis au point par le CNET qui a utilisé une technologie moderne à microprocesseurs et les possibilités de traitement numérique (à 64 kbit/s) de la parole. La nouvelle horloge parlante offre de ce fait, une précision de l’ordre de la microseconde et une meilleure qualité d’écoute pour les utilisateurs. Le système comprend quatre machines identiques surveillées et gérées par un équipement de contrôle consultable à distance. Chacune de ces machines se compose d’une horloge pilote – qui reçoit son rythme d’un étalon atomique de fréquence de l’Observatoire de Paris – et d’une machine parlante – qui fait appel aux techniques numériques de traitement de la parole les plus modernes mises au point par le CNET. La diffusion des informations de l’horloge parlante est assurée par France Télécom : le signal est émis sur plusieurs accès de sortie pour acheminer le service de l’horloge parlante par des voies différentes vers le central téléphonique desservant l’Observatoire, puis l’information est relayée vers tous les centres de transit du réseau téléphonique puis vers toute la France. L’équipement complet de l’horloge parlante (composé de quatre horloges pilotes et de quatre machines parlantes) est unique en France métropolitaine ; un équipement autonome, plus réduit, composé d’une horloge pilote associée à une machine parlante a été réalisé pour être installé dans les DOM-TOM et dans les pays francophones.
L’horloge parlante est un service géré par Orange, disponible au 36 99 et facturé 1,50 € plus la tarification à la minute normale.
Au 1er juillet 2022 le service cessera de fonctionner.
La fin de l’horloge parlante était inéluctable avec la prédominance des Smartphones et plus généralement de l’accès à Internet, obtenir l’heure exacte en 2022 est désormais simple et gratuit. Orange indique dans un communiqué « la baisse régulière et significative » des appels au 3699 et « La digitalisation des matériels, la démultiplication des sources pouvant donner l’heure, mobiles, ordinateurs, tablettes, participent inévitablement à cette érosion. »
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Notes
- Observatoire de Paris : observatoire astronomique créé en 1677 équipé d’instruments permettant d’établir des cartes pour la navigation qui a joué un rôle majeur dans l’astronomie en Occident ; il complète l’Académie des sciences fondée en 1666. C’est le plus grand pôle national de recherche en astronomie, dispensant également un enseignement supérieur de haut niveau.
- Ernest Esclangon (1876-1954) : astronome et mathématicien français, directeur de l’Observatoire astronomique de Strasbourg, puis de l’Observatoire de Paris-Meudon ; c’est l’un des fondateurs de l’Observatoire de Haute-Provence.
- Marcel Laporte (1891-1971) : animateur de radio, il intègre le 15 octobre 1922 Radiola, première station de radio privée à émettre en France, devenue plus tard Radio-Paris. Il devient le premier à exercer la profession de speaker en France, anime des émissions de la TSF et prend le pseudonyme de Radiolo. Voix de l’horloge parlante de 1933 à 1965, il est remplacé par le comédien Pierre Loray.
- Centre national d’étude et de recherche des télécommunications (CNET) : laboratoire de recherche français en télécommunications créé par « acte dit loi n° 102 du 4 mai 1944 » La première tâche du CNET est de rétablir un réseau de télécommunications (téléphone et télégraphe) en France. Les dix premières années permettent au CNET d’inventer des solutions innovantes comme la technique des courants porteurs en 1949. En 1970, il réalise son système de commutation électronique temporelle, PLATON, qui va permettre de simplifier les centraux téléphoniques, teste les premières transmissions par fibre optique et débute ses travaux sur la visiophonie. En 1980, les travaux du CNET permettent de proposer un avant-goût d’Internet : le Minitel. De cette période date aussi le Numéris, les publiphones à télécartes…
- Horloge atomique : horloge utilisant la pérennité et l’immuabilité de la fréquence du rayonnement électromagnétique émis par un électron lors du passage d’un niveau d’énergie à un autre pour assurer l’exactitude et la stabilité du signal oscillant qu’elle produit. Un des principaux usages est le maintien du temps atomique international (TAI) et la distribution du temps universel coordonné (UTC) qui sont les échelles de référence. En 1967, la 13e conférence générale des poids et mesures décide : « la seconde est la durée de 9.192.631.770 oscillations (en périodes) de la transition entre les niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de 133 Cs (atome au repos T=0k) ». Aujourd’hui les horloges atomiques sont transformées en horloges optiques et sont suffisamment précises pour que la mesure du temps soit influencée par une variation d’altitude de 30 cm de par l’effet gravitationnel dit de la théorie de la relativité générale.