Suite à la déliquescence de l’autorité politique révolutionnaire, Napoléon Bonaparte (1769-1821) arrive au pouvoir suite au coup d’Etat du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), renversant ainsi le Directoire1 (1795-1799).
La constitution de l’An VIII instaure un régime politique autoritaire dirigé par trois consuls dont seul le Premier Consul, Napoléon Bonaparte, détient les rênes du pouvoir ; il est nommé Consul à vie en 1802. Le Premier Empire (1804-1815) est proclamé le 18 mai 1804 (28 floréal an XII), mettant fin à la première République.
Le Consulat apporte à la France la stabilité : le suffrage universel est rétabli même si celui-ci est sans pouvoir réel ; la centralisation de l’Ancien Régime est remise au goût du jour avec des préfets chargés de faire appliquer les décisions prises à Paris ; la Légion d’honneur est créée en 1802 pour récompenser les mérites civils ; des mesures d’amnistie à l’égard des émigrés et des Vendéens sont négociées ; le Concordat2, signé avec le pape, ramène la paix religieuse ; le Code civil est créé en 1804, inspiré du droit romain, des lois d’Ancien Régime tout en intégrant les apports de la Révolution ; la Banque de France, créée en 1800, permet de relancer une dynamique économique et, pour la première fois depuis 1789, le budget est équilibré.
L’Empire, qui fait suite au Consulat, encourage vivement l’activité économique en améliorant notamment les voies de communication.
L’organisation de la poste et du télégraphe sous le Consulat et l’Empire
Les moyens de communications sont essentiels à un Etat en guerre depuis des années qui doit organiser les corps d’armée, l’intendance et permettre à Napoléon Bonaparte de diriger la France à distance.
1 – La poste (dépêches, mandats, relais)
La poste au début du XIXe siècle est l’héritière de la poste aux chevaux et aux lettres créée en 1464 par Louis XI (1423-1483) pour le transport des messages royaux, puis des offices de messagers royaux autorisant le transport du courrier des particuliers. Au début du XVIIe siècle, le service est organisé par l’Etat pour la transmission des ordres ; la « poste aux lettres » est dirigée par un surintendant général des postes et le coût du transport d’un courrier est payé par le destinataire, en fonction de la distance… Ce n’est qu’en 1790 que les employés des postes prêtent serment de respecter le secret des correspondances.
Le Consul Bonaparte confirme le rôle de la poste et lui attribue le monopole du transport de la correspondance par l’arrêté du 27 Prairial an IX (16 juin 1801) qui fait interdiction aux autres entrepreneurs de se charger du port des lettres dont le poids est inférieur à 1 kg des journaux et autres publications périodiques.
La poste s’adapte aux circonstances et à la politique de l’Empereur. Celui-ci ne pouvant se satisfaire de liaisons précaires, il charge en 1805 le directeur général des postes, Lavalette, de réorganiser le service des estafettes, système de transmission rapide des dépêches.
« C’est à l’époque de 1805 que je fis usage en grand du système des estafettes que l’Empereur me commanda d’organiser et dont les bases lui appartenaient. Il avait senti l’inconvénient de faire franchir à un seul homme d’énormes distances. » Lavalette
Ce service permet de faire transporter par les postillons les dépêches de Cabinet enveloppées dans un « portefeuille » dont seul l’Empereur et le directeur général des postes ont la clé. Chaque postillon doit transmettre à la station suivante un livret où le nom de chaque poste est inscrit ainsi que les heures d’arrivée et de départ. Une amende et des peines sévères punissent la perte du livret et la négligence du maître de poste à le remplir. Ce service est un succès et l’Empereur reçoit en huit jours de Milan et quinze de Naples les réponses à ses courriers.
La poste devient pour l’Empereur un instrument de gouvernement. Ainsi lors de la déclaration du Blocus continental en novembre 1806, l’article 2 du décret suspend toute correspondance avec les îles britanniques.
« Tout commerce et toute correspondance avec les îles britanniques sont interdits. En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n’auront pas cours aux Postes et seront saisis. »
Napoléon écrit à son ministre des Finances Gaudin dont dépend la poste :
« Faites une circulaire et prenez des mesures pour que, dans l’étendue de l’Empire, toutes lettres venant d’Angleterre ou écrites en anglais et par des Anglais soient mises au rebut. Tout cela est fort important, car il faut absolument isoler l’Angleterre. »
Le contrôle de la correspondance est assuré par le Cabinet Noir. Cette institution d’Ancien Régime, employée sous la Révolution malgré de nombreuses déclarations d’intentions, perdure sous l’Empire : les employés traitent les lettres des ministres étrangers ainsi que de nombreuses personnalités dont certains membres de la famille impériale. Si Napoléon reçoit quotidiennement un rapport nommé « Gazettes étrangères » il n’y attache guère d’importance. « Rarement les conspirations se traitent par cette voie… »
La conquête de nouveaux territoires amène l’Administration postale à s’adapter, les mêmes règles étant en usage sur tout le territoire de l’Empire : l’Instruction générale de 1808 est traduite en Hollandais et une édition bilingue est publiée en 1810. En règle générale, le personnel des postes des départements conquis reste en place, facilitant ainsi le bon fonctionnement du service.
Dans la majorité des cas, les dépêches sont écrites à la plume ou au crayon, pas toujours parfaitement lisibles et bien interprétables pour le destinataire, les omissions de ponctuation constituant les erreurs les plus graves. Si la sabretache (sacoche plate destinée au transport de dépêches) est portée par tous les cavaliers légers au début de l’Empire, les estafettes et notamment les aides de camp préfèrent placer le pli à transporter dans leur ceinture ou caché sous leur chemise. La fonction principale des aides de camp est de porter les dépêches notamment sur le champ de bataille. Ils sont tous des soldats éprouvés, au minimum lieutenant. Napoléon les préfère aux courriers professionnels qu’il juge incapables de rapporter les choses vues et moins endurants (Marbot a ainsi relié Madrid à Bayonne -520 km- en trois jours sans changer de cheval). L’Empereur ne se limite pas à envoyer en mission ses propres aides de camp. Il met sur pied, principalement pour les dépêches de son Cabinet, un service d’estafettes spécialisées pourvues d’une grande sacoche de cuir portant une large plaque de cuivre avec la mention « Dépêches de S.M. l’Empereur et Roi ».
Le courrier des militaires avec leur famille est régi par le « Règlement sur le service des postes militaires », et bénéficie de la franchise uniquement durant les campagnes. Chaque arme a son papier à lettres illustré d’une vignette coloriée représentant un soldat dans son uniforme ; ces lettres sont dites « de cantinières ». Pour les maréchaux d’Empire, dont la fonction nécessite une abondante correspondance, la poste ordonne la fabrication d’une griffe leur accordant la franchise pour leur courrier. A défaut, ils sont autorisés à « contresigner » leurs missives, ce contreseing, déposé auprès de l’Administration des postes, est reconnu et accepté pour le transport « hors taxes » des lettres officielles. Ils utilisent, notamment pour les « plis de service » et surtout pendant les campagnes, le service d’une estafette.
Les impératifs de transferts de fonds pour l’armée font naître les premiers « mandats ». En effet, la règle en vigueur depuis 1791, sur le transport des matières d’or et d’argent, est de faire payer une taxe équivalente à 5 % de la valeur de l’envoi. Cependant, l’Administration des postes étant responsable en cas de perte de la totalité de la somme, elle instaure par le règlement du 17 février 1808 la suppression du transport matériel des sommes d’argent inférieures à cent francs adressées aux militaires en campagne ; le comptable doit conserver l’argent en caisse et adresser à son collègue du bureau de destination un mandat payable à vue. Ce système, d’abord réservé aux soldats en campagne, est étendu en 1812 à tous les militaires en garnison. Ces dispositions prennent fin en 1815 mais sont réhabilitées en 1817, appliquées à tous les usagers et non plus seulement aux militaires.
Un autre grand service est placé sous l’autorité du directeur général des postes : le service des relais ou administration de la poste aux chevaux.
Les relais tenus par un maître de poste sont des lieux où les postillons, chargés de l’acheminement du courrier de l’Administration de la poste aux lettres trouvent des montures fraîches réservées à leur service.
Toute la réglementation concernant le service de la poste aux chevaux, les tarifs, la nomenclature des différents relais sont consignés dans les livres de poste ou Etat général des routes de poste. Ces annuaires permettent aux voyageurs d’établir leur itinéraire ainsi que le prix à payer. Sous Napoléon, les communications postales sont maintenues grâce aux efforts des administrateurs et à l’autorité de l’Empereur qui disait qu’il fallait juger la prospérité d’un pays aux comptes de ses diligences. Sous le Premier Empire, on compte près de 14 000 relais de poste et 16 000 chevaux frais disponibles à travers la France.
2 – Le télégraphe
L’époque révolutionnaire voit la naissance du télégraphe, système destiné à transmettre des messages (télégrammes) sur de grandes distances à l’aide de codes.
Napoléon s’appuie sur ce nouvel outil, le télégraphe Chappe.
Le 9 novembre 1799, une dépêche télégraphique annonce la nomination du général Bonaparte comme commandant de la force armée de Paris. Le lendemain, le pouvoir exécutif est confié à trois Consuls, cette information ne peut être envoyée par télégraphe Chappe en raison du mauvais temps. La télégraphie aérienne, malgré son innovation, présente une grande faiblesse, celle d’être tributaire des conditions atmosphériques.
Napoléon, désireux de posséder un système d’informations rapide et sûr, prend des mesures pour que le télégraphe aérien soit mis à sa disposition : un décret du 4 vendémiaire an IX (26 septembre 1800) stipule que « le citoyen Chappe, ingénieur télégraphe, ne pourra sous quelque prétexte, même pour les détails de son service faire aucune transmission par le télégraphe d’après l’ordre signé par le Premier Consul. » Celui-ci donne l’ordre d’installer d’urgence une ligne télégraphique entre Paris et Metz afin qu’il puisse communiquer avec les plénipotentiaires réunis pour le Congrès diplomatique de Lunéville. Treize jours après le début des travaux, la ligne est en état de fonctionnement, démontrant la grande efficacité de l’équipe de Claude Chappe.
En dépit de son utilité le télégraphe n’a pas, sous l’Empire, un développement aussi grand qu’on aurait pu le supposer. Napoléon Bonaparte charge Abraham Chappe3 de rechercher un moyen d’établir une communication télégraphique de jour et de nuit entre les côtes de France et d’Angleterre en vue d’un débarquement outre-Manche, projet avorté suite à l’abandon de cette campagne. Abraham Chappe est nommé le 30 août 1805 directeur des télégraphes auprès de la Grande Armée, chargé de « traduire les dépêches télégraphiques que l’Empereur, son lieutenant et son Major Général voudront transmettre ou qui lui seront adressées. » Napoléon souhaite disposer d’un réseau lui permettant de diriger depuis Paris des opérations stratégiques, mettant en mouvement ses armées ou ses escadres du nord au sud de l’Europe. C’est dans cette optique que la ligne du Nord est prolongée en 1808 jusqu’à Anvers et jusqu’au port de Flessingue. Cette ligne atteint Amsterdam en 1810. Vers l’Italie, la ligne Paris-Lyon est prolongée jusqu’à Turin (1805), jusqu’à Milan (1809) et jusqu’à Venise (1810). Napoléon veille personnellement au développement de ce réseau. Le 16 mars 1809 il écrit au ministre de l’Intérieur : « Je désire que vous fassiez achever sans délai la ligne télégraphique d’ici à Milan et que dans quinze jours, on puisse communiquer avec cette capitale » et le 10 avril dans un courrier au vice-roi d’Italie, le prince Eugène4 il précise que « le 15, le télégraphe doit communiquer avec Milan, il me tarde bien de savoir que cette communication est ouverte. »
C’est en 1810 que le réseau télégraphique atteint son apogée. Les stations télégraphiques se multiplient et assurent les communications rapides qui sont utilisées de façon complémentaire aux autres moyens d’information. Au retour de la campagne de Russie, l’Empereur ordonne la prolongation de la ligne Paris-Strasbourg jusqu’à Mayence (travaux effectués en deux mois). Lors de son retour de l’île d’Elbe, sa progression est suivie heure par heure grâce à des dépêches régulières. Le 21 mars 1815, le duc de Bassano5 fait expédier aux préfets la circulaire télégraphique : « S. M. l’Empereur est entré à Paris hier, à huit heures du soir, à la tête des troupes qui, le matin, avaient été envoyées contre elle, et aux acclamations d’un peuple immense. »
La poste française connait une première révolution en 1830 avec la création de la poste rurale. La population française majoritairement rurale devant aller chercher son courrier dans le bureau de poste le plus proche (1 775 bureaux pour 36 000 communes), un grand nombre de lettres n’arrive jamais à destination. La poste recrute alors 5 000 facteurs ruraux, notamment chez les anciens soldats de l’Empire napoléonien habitués aux longues marches.
Il faut attendre le règne de Napoléon III (1852-1870) pour que le télégraphe électrique connaisse un développement spectaculaire. Le télégraphe Chappe et les diligences disparaissent.
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Notes
- Directoire : régime politique français de type directorial de la Première République qui remplace la Convention nationale. Les Conventionnels modérés (Thermidoriens) qui ont renversé Robespierre veulent ainsi signifier la fin de la Terreur. Le régime est inspiré par une bourgeoisie enrichie et est confronté à de nombreux complots. Cette période est souvent vue comme une période de transition et d’agitation militaire.
- Concordat (ou Régime concordataire français) : ensemble de dispositions organisant en France les relations entre les différentes religions et l’Etat, suite au traité de concordat conclu en 1801 entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII. En vigueur jusqu’en 1905, il subsiste encore en Alsace-Moselle. Un décret du 17 mars 1808 étend le régime concordataire au culte israélite.
- Abraham Chappe (1773-1849) : frère de Claude Chappe, il se destine à une carrière ecclésiastique, recevant la tonsure en 1789. Venu aider son frère, il supervise les travaux lors des constructions de lignes télégraphiques entre 1791 et 1830.
- Eugène Rose de Beauharnais (1781-1824) : fils adoptif de Napoléon Ier. Il est vice-roi d’Italie, prince de Venise… C’est l’un des plus fidèles et des plus talentueux subordonnés de Napoléon.
- Hugues-Bernard Maret, duc de Bassano (1763-1839) : diplomate français. Fait prisonnier par les Autrichiens en Italie en 1793 alors qu’il se rendait à Naples, il est libéré en 1795 contre Madame Royale, fille de Louis XVI. Il devient en 1802 chef de cabinet du Premier Consul qui apprécie son intelligence, sa discrétion et surtout sa puissance de travail. Il est nommé ministre des Relations extérieures en avril 1801.